jeudi, août 26, 2021

Un premier tour du monde, 44e partie

J'ai toujours été très intéressé par la technique d'enseignement du ski. Peut-être est-ce dû au fait qu'enfant j'ai appris à skier tout seul, et que je n'ai jamais bénéficié d'aucun encadrement jusqu'à ce que je commence à travailler dans une école de ski et à suivre les stages de formation à l'ENSA de Chamonix. 

Ce manque d'apprentissage de base a dû stimuler mon intérêt et ma curiosité dans ce domaine. L’École du Ski Français du Mont Buller était bien naturellement orientée sur l'enseignement de la technique française, d'autant plus que depuis le début, ses dirigeants, de Maurice Jaun à Alexis Saudan ou encore Gérard Bouvier, faisaient tous partie du corps enseignant de l'ENSA. 

Juste à côté, à l'école de ski autrichienne, les choses étaient différentes et peut-être moins orthodoxes que la pure technique de ski autrichienne. Parce que nous étions voisins, ils étaient bien difficile pour moi d’ignorer ce qui s’y passait, et je dois dire que leur simple présence avait stimulé mon intérêt à en savoir plus sur leur méthode d'enseignement. 

J'aimerais donc d'abord passer quelques instants à expliquer l'approche autrichienne de l'enseignement du ski. Celle-ci s'est développée après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le professeur Stefan Kruckenhauser a pris la direction du Foyer des Sports (l'ENSA autrichienne) à St. Christoph, juste au-dessus de St. Anton, en Arlberg. 

A partir de 1955, Kruckenhauser devient l'évangéliste de sa technique "Wedel" et la diffuse dans le monde entier. En 1956, l’Österreichischer Schi-Lehrplan (Mémento du ski autrichien) est également publié et ce livre s’avère très vite devenir un best-seller traduit dans de nombreuses langues. 

Disons qu'il était l'équivalent du livre écrit par le tandem français Paul Gignoux – Emile Allais, sauf que leur "Ski Français" sorti en 1937 n'a, à ma connaissance, jamais été traduit et par conséquent, la notoriété généralisée de la technique autrichienne peut être attribuée à ses efforts de tout faire pour traduire et diffuser cette technique de base.

Pour simplifier, « Wedel » (godille) sacrifiait l'apparence pour l'efficacité, ce qui n'était pas loin ni différent de l'obsession française pour le « Christiana léger ». Ce programme est resté en vigueur jusqu'en 1970, mais Kruckenhauser et ses moniteurs ont fait de leur mieux pour observer la confluence de la technique de compétition et de celle de l’évolution du matériel, pour trouver des solutions et faire évoluer leur méthode. 

Tous ces développements techniques et en particulier la "Wellen Technique" (qui aurait pu signifier "surfer sur les vagues") venaient d'apparaître après l’Interski d'Aspen en 1968, juste avant que nous nous trouvions à Mt. Buller, dans le nouveau "Austrian Ski Curriculum" (cursus autrichien du ski), qui avait été publié par l'association des moniteurs de ski autrichiens. 

À peu près à la même époque, le 1er janvier 1970, Georges Joubert publie son fameux bouquin « Pour apprendre soi-même à skier », qui est aussitôt traduit en anglais (bravo Jojo !) et plus tard en allemand, et validait ainsi la nouvelle approche de la « trace large » que venait de proclamer Kruckenhauser qu’on appelait aussi « le Pape du ski ». Son propre gendre Franz Hoppichler, qui avait commencé par diriger le foyer fédéral des sports d'Obergurgl en 1959, allait prendre la direction de celui de St. Christoph en 1972. 

En somme, ce changement de direction est né de l'observation de Killy, de sa forme de ski efficace, voire iconoclaste, et avait commencé à éloigner l’enseignement autrichien de sa philosophie dogmatique avec son obsession pour le style parfait et « l’inversement d’épaule », adoptant une trace large et une façon plus utilitaire de skier. C'était aussi une réponse défensive par rapport à la popularité croissante de la technique française. Cette nouvelle approche autrichienne contenait bien sûr un élément discutable d’allègement par flexion, mais personne n'est parfait !

Une chose notable est que Kruckenhauser préconisait de garder les débutants sur des skis courts jusqu'à ce qu'ils comprennent les éléments de base et aient définitivement adopté le sport, rendant l’activité beaucoup plus ludique avec des skis de 1,50 mètre pour les femmes et de 1,70 maximum pour les hommes. 

Il s’agissait là d’une excellente initiative et, à ce jour, je ne peux toujours pas comprendre pourquoi la technique française ne lui a pas emboîté le pas. Pour moi, une longueur excessive de planches reste un obstacle tyrannique à l'apprentissage. Je me souviens qu'à l'ESF, tous les moniteurs (les gars) étaient sur des skis de 207 cm ! 

L'école de ski autrichienne du mont Buller était dirigée par l’autrichien Walter Frois, de Wolfurt au Voralberg, siège des remontées mécaniques Doppelmayr. La saison australienne terminée, il retournait à Alpine Meadows, en Californie, où il dirigeait également l'école de ski et y travaillait avec Mike Porter qui allait plus tard reprendre le flambeau, avant d'avoir une très belle suite de carrière à Vail. Selon Mike, de retour au pays, Walter a continué d’enseigner à Zürs jusqu’il a 2 ou 3 ans, et vit maintenant à Daalas, un petit patelin au pied de la station de ski de Sonnenkopf.

Á Mt. Buller, son équipe comprenait des Autrichiens, bien sûr, mais aussi des Suisses comme Pierre Pfister, de Glion sur Montreux, René Zeller et quelques Américains comme Mike Porter, et tout le groupe enseignait un cocktail de technique austro-suisse-américaine à leurs élèves, y compris l’allégement par flexion et la trace large. 

En l'absence des lignes de cotes de nos ski modernes (nous sommes toujours en 1971), l’allégement par flexion ne pouvait pas fonctionner avec des skieurs novices car cette nouvelle théorie nécessitait une vitesse importante dont les débutants étaient totalement incapables. L'ancienne méthode française de flexion-extension restait encore une solution beaucoup mieux appropriée et adaptée à l'apprentissage …

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