Alain Lazard a fait un travail remarquable en chroniquant ce grand accident de parcours qui a profondément marqué l'histoire du ski français. La lecture de son « Livre Blanc » m'a rappelé des tas de souvenirs et ravivé des passions oubliées. Aujourd'hui, presque quarante ans après, dans un contexte beaucoup plus serein, je vois ces choses un peu différemment. L'analyse minutieuse d'Alain m'a apprit une foule de détails fascinants qui m'avaient totalement échappés à l’époque et dont j'ignorais même l'existence. Quand j'ai eu fini ma lecture, j'ai retenu trois conclusions qui sont autant de raisons à l'origine de cette crise ...
1. Le ski est un sport plus subjectif que ce qu'en disait Joubert
Ce sport prend une vie entière à bien comprendre et n'est pas juste assimilé en observant des photos et en analysant la bio-mécanique des mouvements. Bien que sexagénaire, je continue de faire beaucoup de ski et d'apprendre tout les jours d'avantage sur cette activité que je crois pourtant bien connaitre. L'essence du ski n'est pas visible et c'est un phénomène de communication continue entre la tête du skieur et ses pieds, les élément du corps les plus éloignés. C'est bien ça : « l'intelligence des pieds » comme disait Jean-Claude Killy ; c'est du reste là que l'ENSA détenait une grande part de vérité avec son obsession sur le contrôle des carres et ses exercices frisant la schizophrénie comme les « dérapages en festons. »
Il se peut que l'institution chamoniarde ait été un peu trop dogmatique, mais quand j'ai testé certains élément de la méthode Joubert sur des élèves, celle-ci marchait plutôt moins bien, et en particulier avec des skieurs débutants et moyens. Par contre, Joubert avait probablement trente ans d'avance sur son temps avec sa découverte et sa vulgarisation du « carving. » Grâce aux skis modernes et à une progression raccourcie, les participants bénéficient aujourd'hui d'une courbe d'apprentissage rapide, en particulier sur des pistes méticuleusement préparées, bien qu'ils restent encore parfaitement incapables de skier « toutes-neiges, tous-terrains. » C'est aussi le patron du GUC qui en rebaptisant « avalement, » le jet-virage de l'ENSA, avait ainsi contribué à le populariser, au point que beaucoup crurent que la façon de skier à la Patrick Russel était la nouvelle panacée. Il convient aussi de reconnaître que Joubert a grandement contribué à vulgariser le ski à travers ses ouvrages abondamment illustrés ainsi qu'avec tous ses articles de magazine traitant de technique ou de tests de matériel.
Finalement, un élément important est qu'il faut vraiment aimer un sport, et pas seulement être intéressé ou obsédé par sa mécanique. Je ne veux pas dire que Joubert n'aimait pas le ski, mais sa sa relation avec l’activité était avant tout celle d'un analyste et d'un technicien. S'il avait de l'amour pour le ski cela ne se ressentait pas beaucoup dans sa manière de communiquer. Il disséquait le ski comme un naturaliste dissèque un insecte. C'est du reste là où résidait peut-être son problème en tant qu'entraineur des équipes de France de ski ; il n’était visiblement pas à même de se mettre au niveau émotionnel de ses coureurs et n’était guère capable de recueillir leur adhésion à son approche assez révolutionnaire. Le plus souvent, il faut être prêt à « vendre » ce que l'on prescrit ; l’adhésion à des idées radicales n'est jamais automatique.
2. Tous les torts ne peuvent pas être du même côté.
Les héritages respectifs de Portillo, Grenoble et Killy ont du peser lourd sur l'équipe de France de ski entre 1969 et 1973. Les attentes étaient astronomiques et les succès ne pouvait être reproduit au quotidien comme des fournées de croissants frais.
Les coureurs se sont-ils comportés parfois comme des prima donnas? C'est possible. Un bon esprit d'équipe doit naitre d'une collaboration continue et non d'une atmosphère de contradiction permanente, et si le personnel d'encadrement n'est pas capable de mener, d'inspirer et de motiver ses athlètes, c'est qu'il n'est probablement pas si bon que ça. Il me semble que l'entraîneur doit être au service de ses coureurs, et non le contraire. Son rôle est de rendre l'environnement aussi « facile » que possible pour le compétiteur qui a des tas de problèmes logistiques à confronter au quotidien et qui, s'il ne sont pas traités comme il se doit par l'encadrement, peuvent peser lourdement sur son état psychologique.
Par contre, il n'est guère possible de « reformer » de manière considérable la technique d'un skieur ayant atteint le niveau de l’équipe nationale. L'entraineur devient alors un « facilitateur, » il n'est plus un formateur. À ce stade, Il est par exemple trop tard pour inculquer à un athlète une manière différente de skier. Si certaines attitudes des coureurs parvenaient à irriter les entraineurs c'est qu'ils n'avaient peut-être ni la patience, ni le doigté requis pour communiquer de manière constructive avec ceux-ci. À ce propos, il me semble que si Joubert était un analyste méticuleux il était par contre très peu doué dans ses rapports humains et c'est en fait là où se trouve l'origine de la crise. L'homme n'avait pas assez d'empathie et de leadership pour bien mener une équipe d’athlètes de haut niveau.
Quand au comportement d'Honoré Bonnet, sa réaction est assez typique de gens qui se trouvent au pinacle du succès et qui se sentent soudainement ignorés par les médias et les leaders d'opinion dès lors qu'ils se retirent du haut de la scène. Enfin, la polarisation des partis en lice n’amène jamais rien de bon dans les différences d'opinion. Il suffit de regarder la vie politique d'aujourd'hui en Belgique ou aux États-Unis pour voir comment des parties adverses peuvent être séparées par un mur d'incompréhension quand on laisse la situation s'envenimer et les opposants devenir complètement polarisés. Il y a sur ce sujet des tords dans les deux camps, mais il me semble que les entraîneurs auraient du mieux jouer leur rôle « d'adultes. »
3. Le fossé entre citadins et montagnards en France
Cela pourrait bien être la plus grande source d’incompréhension dans cette affaire. Dans les Alpes françaises des années soixante et soixante-dix, les gens de la montagne et ceux de la ville ne voyaient pas toujours les choses de la même façon. Né et élevé dans un petit village d'alpage de Haute-Savoie par des parents « qui avaient toujours vécu là, » je comprends cela parfaitement. J'aurais du mal à vivre hors des montagnes ; cela pourrait être dans les Alpes, les Rocheuses ou bien l'Himalaya, mais j'aurai toujours besoin de voir un certain relief autour de moi pour me sentir bien dans mon élément. Pour des raisons que je ne peux pas vraiment expliquer, je vois la montagne différemment que n'importe quelle autre personne née ailleurs, et peu y percevoir des détails qui leur échappent généralement. Ce n'est pas seulement les montagnes, mais le ciel, les nuages, la lumière et la neige. De la même façon, j'aime la mer, sans toutefois bien la comprendre. Elle n'est pas essentielle à ma vie et à mon bien-être. Mon intérêt à son égard n'est pas épidermique et ne devrait jamais se comparer avec celui d'un breton qui vit sur le littoral. Cela n'est pas simplement du à l'exposition du sujet aux éléments, mais d'avantage culturel et inné.
Ma relation avec mon environnement est instinctive. Je suis capable de « sentir » les avalanches et tous autres dangers avant de m'aventurer dans des endroits exposés ; mon comportement est capable de se modifier sans aucun effort conscient de ma part. Je n'ai rien appris de tout cela à l'école, ce sens est simplement inné. C'est dans ma culture profonde et n'a rien avoir avec une réponse apprise. J'ai tendance à sentir que j'appartiens a ce milieu montagnard, à l'exclusion de tous ceux qui contrairement à moi, n'y sont pas nés et ne pourront jamais être en communion avec les éléments comme je pense en être capable. Si vous lisez ceci et venez de la plaine, de la ville ou d'une région côtière, vous ne serez sans doute pas d'accord, mais cela va être bien difficile de me faire changer d'avis.
Cela dit, cette histoire est l'illustration de la résistance que nous avons tous à la diversité ainsi qu'au changement, et si à l'époque il y avait eu davantage d'efforts fait en faveur d'un mixage harmonieux de toutes ces cultures, tout se serait sans doute beaucoup mieux passé. Il suffit d'observer les mentalités dans un lieu comme Chamonix pour voir qu'il continue d'exister un fossé entre ceux qui sont originaires du coin et ceux qui viennent d'ailleurs. Ceci est moins fort dans des stations « bâties de toutes pièces » comme la Plagne ou Les Arcs, où le mélange des cultures citadines et montagnardes est beaucoup plus avancé et moins lié à des atavismes culturels. Sans être rétrograde, il faut encore bien admettre qu'aujourd'hui des montagnards de pure souche communiquerons beaucoup plus naturellement entre eux, mais comme heureusement ce mixage culturel continue de s’amplifier, les mentalités ne cessent d'évoluer dans la bonne direction et à terme, toutes ces différences vont éventuellement s'estomper.
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