Il y a quelques années, la chaine ABC produisait et diffusait "l'Anthologie des Beatles", une série télévisée coïncidant avec un nouvel enregistrement de deux chansons de John Lennon, arrangées par George Martin, le producteur du groupe, et réunissant George, Paul et Ringo. Aux États-Unis, cette diffusion était accompagnée à grand renfort de publicité par le lancement de plusieurs disques compacts ainsi que des cassettes vidéo regroupant le contenu des émissions. Ayant toujours beaucoup adoré les Beatles, je regardais cette rétrospective avec un intérêt d'une intensité surprenante mais assez facile à comprendre: Cette histoire des Beatles me ramenait au coeur de ma jeunesse. J'avais alors entre 14 et 21 ans et me trouvais dans ces années charnières qui définissent souvent la tournure que vont prendre nos vies d'adultes.
A l'époque je ne m'étais jamais plongé dans l'analyse détailléede leur musique, en partie parce que je ne connaissais pas suffisamment bien l'anglais pour apprécier le sens des paroles, mais aussi parce que leurs chansons constituaient simplement le fond sonore qui devait rythmer mon adolescence. Cette anthologie allait donc agir comme le psychiatre qui remue la poussière des souvenirs tout en cherchant à remonter les courants émotionels de son patient. De la même façon, chacune des chansons du groupe Anglais me rappellait les émotions ressenties à des moments très précis où leur musique m'avait particulièrement touché. Ce retour aux sources des compositions des Beatles m'offrait ainsi l'occasion de renouer avec ces précieux moment de ma jeunesse. Plus récemment, alors que je parcourais les nombreuses photos que nous avons organisées dans des albums ou qui traînent encore dans des boîtes en attendant d'être classées, je ressentais ce même sentiment en examinant ces témoins d'un passé à la fois proche et lointain.
Tout ceci devait m'amener à réfléchir au phénomène de la nostalgie et au goût aigre-doux qu'amène ce pélérinage dans le passé. Je voulais débrouiller cet échevau de fibres sentimentales qui habite ceux d'entre nous qui ont atteint un âge certain. Ne riez pas, l'âge y est pour beaucoup; il est en effet plus facile d'être nostalgique à 45 ans qu'à 15 ans. Les souvenirs d'un adolescent sont minces. Ils s'étoffent au fil des années, bien que l'on tende à les ignorer parce qu'ils ne sont pas en vue. Il me semble que plus le temps passe, plus nous devenons sujet à la nostalgie. Celle-ci ne se limite pas seulement à la musique ou aux images. Elle s'applique aussi à toutes nos autres expériences: Voyages, spectacles, repas, événements tristes ou joyeux. La différence est que le son et l'image ont un pouvoir évocateur aussi pratique que puissant. Les enregistrements sonores ou visuels ne sont rien d'autre que de la nostalgie en conserves. Lorsque l'on se trempe dans le passé, il semble qu'un pouvoir d'attraction magique veuille nous éloigner de la réalité en nous ramenant au sein d'un monde où tout semblait plus simple, plus facile et plus beau. La nostalgie est une espèce de rêve éveillé qui nous distrait des difficultés quotidiennes et nous immerge dans une univers de rêve. La sensation y est agréable et l'on s'y sent comme dans un cocon. Mais un peu comme après l'ennivrement, le retour à la réalité ne se fait jamais sans peine.
Telle une sirène, la nostalgie est à la fois séduisante et aussi douce que le miel; elle ne manque cependant jamais de laisser un arrière-goût amer. Débordante de générosité, La vie nous offre de nombreuses options. Nous pouvons nous noyer dans la nostalgie et nous perdre dans son environnement qui finit souvent par être très déprimant. Nous pouvons aussi fuir en avant et ne penser qu'à ce que nous ferons demain en nous disant "vivement la fin de l'école" ou "vivement la retraite"; ceci est sans doute la forme d'évasion la plus commune et la plus productive dans un sens strictement matériel, mais celle-ci apporte rarement le bonheur. Finalement, si nous sommes de vrais sages nous serons capables d'apprécier le moment présent et pouvons être véritablement heureux; cela est de loin l'art le plus difficile à maîtriser sur cette terre. N'abusons donc pas de cette nostalgie qui nous attire à l'occasion, mais essayons de bien saisir chaque moment et de le vivre à fond. Carpe diem!
lundi, mars 29, 1999
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