Petit garçon, je passais beaucoup de temps en compagnie des ouvriers de chantier qui construisaient la route des Lindarets ou des bûcherons avec qui je partageais les plats de pâtes à la sauce tomate, et qui m'apprenaient le "Bel Canto" dans la maison de nos voisins, les Muffats. Ils venaient d'un autre pays, parlait avec un fort accent, ils étaient Italiens. Déjà, ils faisaient un travail dont bon nombre de Français ne voulaient pas. Un peu plus tard, alors que la vallée de Morzine se développait économiquement, Espagnols et Portugais remplacèrent les Italiens. Nous étions déjà aux États-Unis lorsque ce fût le tour des Turcs.
Avoir un accent et se trouver en pays étranger est un sujet fascinant. Peut-être savez vous que passé l'âge de treize ans, l'accent ne se perd plus. Ceci s'explique en partie par le fait que les cordes vocales sont formées et perdent de leur adaptabilité. Bien sûr, si l'on a correctement apprit une seconde langue avant cet âge, il est possible de la parler parfaitement, sans le moindre accent. Au fil des années, les États-Unis - un pays d'accueil par vocation - ont intégrés une grande varieté d'immigrants. Nous sommes donc habitués à y entendre de nombreux accents. Bien que le groupe d'immigrants le plus important soit de langue espagnole, il existe de nombreux Coréens, Vietnamiens, Haïtiens ou Slaves qui se sont fixés en Amérique ces dernières années.
Comment réagissent les Américains lorsqu'ils entendent un accent étranger? Tout dépend de son origine. L'accent Britanique, s'il provient de l'élite sociale, fait toujours très distingué. L'accent Allemand a un coté scientifique et érudit qui n'est pas sans rappeller des personalités comme Freud, Einstein et plus récemment, Henry Kissinger. L'accent Italien reste teinté par l'importante population d'origine transalpine qui peuple la côte Est des Etats-Unis et rappelle le caractère un peu trouble des mafiosi, sauf si le personnage s'appelle Pavarotti. L'accent Français, me demanderez-vous? J'allais y venir. Si votre nom est Catherine Deneuve et si vous vendez du parfum, l'accent passe très bien. Si vous êtes un chef de cuisine, cela vous rend plus crédible. Pour le reste, l'accent Français demeure perçu comme un trait charmant, mais peu sérieux. Le stéréotype du Français aux États-Unis est celui d'un individu assez libertin qui aime aussi bien boire, fumer, et qui, avant tout, adore bien vivre.
Que se passe-t'il alors lorsque l'on émigre et s'installe dans un pays anglo-saxon? La réponse est d'une brutalité simple: On vous attend au tournant; le tapis rouge est une chose à laquelle on rêve mais qui n'existe pas vraiment. Faire sa place au soleil avec un accent demande donc des talents uniques ou une volonté de travailler plus vite et mieux que les autres. De plus, l'apprentissage de la langue reste un obstacle continuel; il ne se passe pas un jour sans que j'apprenne un élément nouveau d'anglais. Dans n'importe quelle deuxième langue, les automatismes exigent un effort et une attention constante. Bien parler – comme bien écrire - est un art difficile, et il n'est pas rare que quelqu'un rie, me reprenne, ou ne comprenne pas ma façon de prononcer certains mots. Bien que cela m'irrite, je ne désespère pas et continue de "m'accrocher".
Une chose est très claire: Les Américains remarquent l'accent étranger et ne manquent jamais de demander d'une manière que je trouve assez pénible: "D'ou venez vous?." Je rétorque: "Devinez?" Les réponses peuvent surprendre: "vous êtes Suédois," ou "vous venez de Russie," ou encore "de Slovénie." Leurs questions sont un peu une façon de dire "Qu'êtes vous venus faire ici?" et peuvent dénoter une certaine hostilité si vous n'êtes pas juste de passage…Aujourd'hui il est à la mode de dénoncer les différences salariales entre hommes et femmes; de même, je pense qu'il existe une différence de niveau de vie attribuable à la présence d'un accent étranger. Pensez un instant aux personnes que vous connaissez et qui ont un accent Espagnol, Portugais ou Turc; intuitivement, je pense que leurs revenus sont affectés par leur accent. Ces personnes compensent en économisant un peu plus et en faisant d'avantage de sacrifices que le reste de la population.
Le fait que j'ai un accent m'a t'il géné? Sans doute. Un accent colle un label "étranger" à la peau; on se méfie toujours d'un étranger et il convient alors de faire plus pour prouver sa vraie valeur. Aux État-Unis on dit: "vos différences vous rendent 'unique', n'en faites surtout pas un complexe". Facile à dire, dans un monde ou chacun se bat pour être accepté et intégré! Lorsque j'étais petit, quelqu'un qui n'était pas né à Montriond était un "étranger"; dès lors, est-on prêt a laisser celui ou celle qui parle avec un accent Turc devenir le maire de la commune?
Si la vie d'immigré est si difficile, peut-être devrais-je rentrer en France? Et bien non; le défi que représente la vie outre-Atlantique me stimule énormément et compense les quelques vexations occasionnées par mon accent Français. De plus, l'insertion d'un étranger se fait bien plus facilement aux États-Unis qu'en Europe du fait que nous sommes principalement une nation d'immigrants. J'assume donc toute responsabilité pour me trouver ici et veux maintenant parler de ceux qui bénéficient le plus: Les enfants d'immigrés. En effet, ceux-ci ont, d'un seul coup, deux cultures à leur disposition et ont aussi d'une manière indirecte beaucoup appris de l'adversité et des difficultés d'insertion qu'ont connus leur parents. Ils en sont donc beaucoup plus forts. Ces enfants d'immigrants sont désormais "trempés", solidement armés et fortement motivés pour réussir et dépasser tous les écueils rencontrés par leurs parents; de plus, leur accent n'est plus étranger!
jeudi, novembre 05, 1998
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